Être un homme aujourd'hui

Si je prend la plume aujourd'hui, ou plutôt le clavier, c'est pour écrire sur des choses qui me troublent récemment, et que je n'arrive pas à démêler. Peut être qu'en les mettant par écrit, mes questions trouveront une réponse, ou au moins que cela me donnera un peu plus de clarté.

Commençons directement par le point le plus dur:


Je ne sais plus ce que veut dire être un homme aujourd'hui


C'est une constatation assez étrange, encore plus à admettre, et de remarquer ça me rend parfois complètement perdu. 

Nous vivons dans une société profondément patriarcale, pour ne citer que ce problème. Et de nos jours, différentes voix commencent enfin à se faire entendre, petit à petit, peut être (totalement) trop lentement, mais les voix se font plus fortes. Celles des femmes notamment, depuis les mouvements MeToo, ou encore récemment les créatrices françaises qui ont osé sortir du mutisme et partager les choses horribles que les hommes leur font subir.  Nous avons aussi les voix non binaires et de toute la communauté LGBTQIA+ qui se fait de plus en plus forte. Et des choses commencent à bouger, on voit de plus en plus d'actions et mouvements. Les pronoms ont été changés, le langage anglais utilise le "they/them", le français a introduit "iel".

Mais est ce que c'est suffisant? Non. Loin de là. Les causes des problèmes sont nombreuses, mais d'une manière générale il semble que les hommes soient souvent (tout le temps) impliqués. Je fais partie du problème, j'en suis bien conscient. Parce que je suis né avec un chromosome Y? Non. Mais parce que je sais que par le passé, et même récemment, j'ai reproduit beaucoup de choses que j'ai vues, transmises d'homme à homme, et qui rabaissaient des gens, sans même en avoir conscience. J'ai été raciste, sexiste, homophobique, et tout ça, sans même savoir que je l'étais ou que c'était un problème. Et aujourd'hui? Disons que je fais de mon mieux pour ne pas l'être, mais certaines choses sont tellement ancrées en nous depuis la naissance qu'il est difficile de différencier les comportements acceptables de ceux rabaissant ou discriminants. Malheureusement, je pense être toujours un peu de tout ça, à certain niveaux.

Alors la bonne nouvelle c'est que le savoir permet d'agir et de changer. J'essaie de faire de mon mieux, de me renseigner. Tous les jours de nouvelles choses arrivent et il faut s'adapter. Et c'est ok, car la vie est une succession de virages et de changements. Je ne me plains pas de ça. Mais là où je me perds de plus en plus, c'est sur la place de l'homme dans la société.

On a toujours cette vieille image, qui définit notre société actuelle, avec d'un côté la femme au foyer qui s'occupe de la maison, des enfants et de la charge sentimentale, et de l'autre le père de famille, qui s'occupe de subvenir aux besoins de tout ce petit monde en étant fort et en prenant toute la charge économique sur ses epaules.

On sait déjà a quel point cette image a fait des dégâts. On se bat depuis des années pour changer  ça et faire comprendre au monde que non les femmes ne sont pas bonnes qu'à rester à la maison. On parle un peu moins de l'effet que ça a sur les hommes, même si là aussi, ça commence à prendre forme. Insidieusement, cette image est lourde de conséquences pour les hommes. Avoir la famille a leur charge implique de grands sacrifices et une charge énorme repose sur leurs épaules. Et cela doit être réalisé sans se plaindre, sans jamais montrer d'émotions négatives. Car il ne faut pas effrayer ses enfants ou sa partenaires. Il faut faire bonne figure.

Et à cause de ça, les hommes s'ouvrent très peu, gardent beaucoup de choses pour eux. Beaucoup souffrent en silence, sans savoir comment en parler. Certains sombrent dans la dépression, vont jusqu'au suicide. D'autres recourent à l'alcool, à la drogue, dans certain cas à la violence. N'importe quoi qui puisse les éloigner de leurs tracas. 

Un homme doit être fort, et doit paraitre fort devant ses congénères masculins. Ne sont pas rares, les groupes d'hommes passant leur temps à se vanner, s'envoyer des piques rabaissantes, se critiquer  les points faibles, comme si c'était un jeu, pour  voir si l'autre peut faire  mieux ou finira par craquer.



Etant une personne sensible, j'ai toujours eu du mal a réprimer mes émotions. Un rien me fait pleurer et des choses anodynes peuvent me rendre très heureux. Ce qui m'a valu beaucoup de  remarques, du  genre  "tu es trop sensible", "ça ne sert à rien de pleurer", "t'es vraiment une chochotte" ou encore "ne fait pas ta femmelette", phrase magique qui  réussit a rabaisser tout le  monde en même temps. Et avec tout ça j'ai appris que pour un homme, avoir des sentiments était mal vu. Ça te féminise apparemment. Et c'est un problème apparemment. Du coup j'ai commencé a essayer de le cacher, et pour ce faire j'ai développé énormément d'addition. Tout pour ne pas avoir a ressentir tous ces sentiments forts que je ne peux exprimer. Tout pour me couper de la réalité. On parle d'addictions comme les jeux vidéos, les films et séries,  le porno. Des addictions qui te bouffent, des addictions sur lesquelles je travaille aujourd'hui mais qui reviennent toujours à la charge. Parce que ça paraît toujours plus facile que de faire face à la réalité. 

Petit, la colère arrivait aussi très facilement et je faisais beaucoup de caprices. Un jour, on m'avait énervé à l'école, je ne saurais dire pourquoi, et quand ma même m'a parlé je l'ai envoyée paitre dans un langage très fleuri. Ce qui m'a valu ces mots de la part de mon père: "Tu n'as pas à montrer ce que tu ressens à ta mère alors qu'elle n'a rien à voir. Tu ne dois pas montrer tes sentiments à une personne qui n'est pas concernée par ceux-ci". Avec le recul, je pense que ce qu'il voulait dire, c'est qu'il ne fallait pas que je me mette à engueuler Machin parce que j'avais un problème avec Bidule. Ce qui paraît logique. Encore que, si ça arrivait, une discussion honnête et de plates excuses pourraient suffire non? Mais à l'époque j'ai pris ça comme une interdiction de montrer mes sentiments a qui que ce soit. Et encore aujourd'hui j'ai du mal à le concevoir autrement.

Alors des fois mes sentiments bouillonnent à l'intérieur. Je les ressasse et ressasse sans savoir quoi eb faire, comment ou a qui en parler, jusqu'à ce qu'un jour ils explosent. Et que tout ressorte d'un coup, sur un objet ou sur quelqu'un. Des fois j'essaie de parler, mais il y a cette peur constante d'être jugé.

Des fois aussi, arrive une femme dans ma vie qui semble me comprendre. Sans que j'aie demandé quoique ce soit, elle me relève et trouve les mots pour me mettre en confiance, me faire parler, et sait m'écouter. Et comme je n'ai pas l'habitude, je deviens vite accro à cette personne. Je ne pense qu'à la prochaine conversation, à ce que je vais pouvoir dire et les solutions qu'elle pourra proposer. Et ça vire à l'obsession. Par le passé, ça m'a amené de nombreuses fois vers un amour idéalisé. Qui ne s'est pas souvent bien terminé. Et au final heureusement car cela aurait résulté en une relation très égocentrée, mais je passe les détails. Pareil, maintenant que je le sais, je peux agir.

Une grande partie de ma vie, j'ai galéré. Maintenant j'ai trouvé ma voix. Oui oui voix. Je commence à parler et laisser place à mes sentiments, et ma vie ne s'en trouve qu'améliorée. J'ai toujours beaucoup à apprendre, des fois j'en dis trop et des fois pas assez, mais je commence à m'amuser sur ce long chemin qu'est la vie.



Mais tout le monde n'a pas cette chance. Beaucoup  d'hommes aujourd'hui souffrent encore en silence, certains  reproduisent toujours des comportements qu'ils n'aiment pas car ils ne connaissent que celui là et ne savent pas comment en sortir, ont peur que l'image d'eux changent s'ils changent. Je pense que c'est très triste, et que tout le monde devrait avoir l'opportunité de parler librerment de ses sentiments. Je pense, honnêtement, que la plupart des problèmes de ce monde pourraient être grandement diminués, voire même complètement résolus, si les hommes savaient exprimer leurs sentiments et parler honnêtement des choses importantes, sans avoir peur du regard et du jugement de la société.


Et c'est là que le problème se lève. Comment arriver à cela quand tout ici est fait pour mettre l'homme fort et impitoyable au sommet? Quand les hommes eux mêmes vous poussent toujours plus à être un homme? Quand les films vantent les mérites des héros sombres, macho et solitaires? 

Pour être un homme il faut être fort et viril, aller toujours de l'avant, être fier et regarder loin vers l'avenir, sans se soucier des obstacles en chemin. Ou parait-il. 

Je ne m'identifie plus à cette image depuis bien longtemps. L'homme tel que la société le définit devrait aussi changer. Je n'ai plus honte d'être sensible, de pleurer, de ne pas être fort. Si cela veut dire ne pas être validé par la majorité, tant pis, je n'en ai pas besoin. Mes amis me prouvent chaque jour que je n'ai pas besoin de tout ça. Je ferais souvent des erreurs, mais je me relèverai, pour devenir meilleur.  Je croirais en mes rêves, suivrai mes envies, parlerai de mes peurs et de mes passions et de mes haines avec passion. Je traiterai mes pairs avec amour et gentillesse et parfois humour. Je les écouterai et essaierai de me mon mieux de les aider et les soutenir, pour qu'ensemble, on vive la vie que l'on désire et non celle que l'on nous impose. Pour moi c'est cela être un homme.

Et j'ai ce voeu pieu et sans doute innocent et naïf, par choix, que plus de personnes puissent voir le problème posé par l'image actuelle de l'homme, pour qu'on puisse enfin progresser vers un monde plus beau.

 Cette année je participe à Movember, un mouvement qui a pour but de mettre en avant la santé masculine et les problèmes liés. Trop d'hommes meurent jeune, souvent parce que justement ils n'ont pas osé parler, de leurs problèmes psychologique ou physique. Et c'est ce qui m'a motivé à écrire enfin tout ça. Et c'est aussi pour ça que je me bats, pour que n'importe qui ait droit à la parole. Dans le contexte actuel je me demandais si c'était vraiment une bonne idée de mettre ça en avant. Mais oui ça l'est. Tout le monde a souffert récemment, et se battre pour ceux qui n'y arrivent pas est important. Et ce n'est pas une cause au détriment d'une autre, je pense que c'est un tout. 

Donc ce mois de novembre, c'est poussage de moustache, récolte de fonds et 60km de course au moins. Si vous voulez donner ou participer d'une quelconque manière (il y a plein d'évènements et juste en parler est déjà un grand pas), je vous partage ma page: 

 https://uk.movember.com/mospace/14827407?utm_source=qrcode&utm_medium=mo_app&utm_campaign=movember&utm_content=app_share_mospace_qr


On se retrouve d'ici un mois dans un monde un peu meilleur. 

Commentaires

Articles les plus consultés